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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Mr Pickwick - Charles Dickens




    Critique publiée par Woland le 27-08-2005

    Au lecteur qui ne se serait jamais plongé dans "Les Papiers Posthumes du Pickwick Club", que certaines éditions retranscrivent aussi sous le titre "Les Aventures de Mr Pickwick", on ne saurait trop conseiller de le faire sans plus attendre.

    A deux conditions toutefois.

    Tout d'abord, sachez que, à l'exception de quelques petits récits qui furent réunis dans les "Sketches et Esquisses de Boz" ("Boz" étant le premier pseudonyme adopté par Dickens), le romancier britannique n'avait jamais rien écrit avant ce petit chef-d'oeuvre comique qui devait, d'ailleurs, lancer sa fabuleuse carrière. Les "Pickwick Papers" peuvent donc être tenus pour un premier roman, avec tous les défauts inhérents à ce genre d'ouvrage.

    Ensuite, Dickens publiait en feuilleton et était tributaire de la sensibilité du XIXème siècle qui faisait volontiers pleurer Margot dans les chaumières et les grandes dames dans leurs salons mais qui ne regardait qu'avec des oeillères la misère, réelle et monstrueuse, qui régnait alors dans nombre de quartiers populaires. Chez Dickens, cette sensibilité est également liée à la pudibonderie de l'ère victorienne. Tiré à hue et à dia par ces deux facteurs dont il était étroitement prisonnier, Charles Dickens a dressé, sous le couvert d'une étude sociale qui aurait fait faire la grimace à un Emile Zola, un portrait de son époque qui n'en demeure pas moins saisissant. Et puis, il a laissé affleurer çà et là - surtout dans ses romans plus tardifs d'ailleurs - une sexualité qui ne dit pas son nom mais qui, de Steerforth jusqu'à Edwin Drood, pèse sans vergogne sur nombre de personnages.

    Dans les "Pickwick Papers", nous n'en sommes pas encore là même si l'on peut s'étonner que l'auteur trouve parfaitement normal le comportement que Mr Tupman affiche face aux soubrettes qu'il rencontre.

    Autre point, très important également : lorsqu'il commença ce feuilleton, Dickens ne savait absolument pas où il allait. Le but premier était en fait d'illustrer des scènes comiques de chasse ou de sport. Le personnage de Nathanael Winkle, le jeune sportsman qui ne sait pas armer un fusil et se fait systématiquement jeter à bas par le cheval qu'il enfourche (du mauvais côté, d'ailleurs), est le survivant de cette idée initiale qui, peu à peu, va diminuer, puis disparaître au bénéfice d'un roman dont les péripéties soigneusement huilées s'enchaînent de façon impeccable.

    Les hésitations de Dickens sont largement perceptibles dans le premier chapitre. Mais, dès l'apparition de Mr Jingle dans la diligence du second chapitre, le ton commence à se modifier. Cependant, il faudra attendre l'apparition de Sam Weller, cirant les paires de bottes dans la cour de l'auberge du Cheval Blanc, au chapitre X, pour que les "Pickwick Papers" soient définitivement lancés. A partir de là en effet, le succès des livraisons ne se démentira plus et Dickens deviendra un auteur reconnu et véritablement encensé par le public.

    Son oeuvre, et les "Pickwick Papers" en premier, déborde de personnages truculents, émouvants ou particulièrement répugnants - comme le Uriah Heep de "David Copperfield" - qui, en dépit du style souvent mélodramatique et des conventions en usage dans le feuilleton de l'époque, nous deviennent bien vite aussi réels et aussi proches que peut l'être notre voisin de palier.

    Dans "Pickwick", outre l'escroc Jingle et son valet, Job Trotter, la vedette revient incontestablement à Samuel Weller avant même que Mr Pickwick ne l'engage comme valet de chambre. Personnification du cockney, Sam est débrouillard et bagarreur mais ne perd jamais le sens de l'humour. Le succès du personnage fut tel que, dans la foulée, Dickens lui créa un père, Mr Samuel Weller Senior, cocher de diligence qui, devenu veuf de la mère de Sam, a eu l'idée baroque de se remarier avec une veuve qui possédait un débit de boissons. Las ! Ne voilà-t-il pas que la nouvelle Mrs Weller tombe sous la coupe d'un "berger" et de son serviteur - i.e. un prêcheur wesleyen et son espèce d'acolyte - et leur permet d'organiser chez elle des réunions de prières largement arrosées de grogs à l'eau de vie !!! La malheureuse finira d'ailleurs par se charger tellement d'alcool qu'elle en décèdera, léguant son relais à son époux, lequel s'empressera d'en expulser le "berger" manu militari.

    Ne ratez pas non plus les ineffables Hodgson et Fogg, avoués de leur état, qui convainquent Mrs Bardell, la logeuse de l'excellent Mr Pickwick, d'attaquer celui-ci en justice pour "rupture de promesse de mariage." Condamné à 750 livres de dommages et intérêts et aux dépens, Mr Pickwick préfère se voir incarcéré à La Fleet, la célèbre prison pour dettes de Londres où le père de Dickens fut lui aussi emprisonné, plutôt que de payer. Et l'écrivain de dépeindre ce milieu qu'il connaît bien pour y avoir vécu enfant et qu'il replantera, sur une note plus triste, dans "La Petite Dorritt."

    Il y a aussi les deux étudiants en médecine qui ont nom Benjamin Allen et Bob Sawyer : deux carabins qui atteignent au summum de la joie quand ils peuvent placer à table une histoire de dissection.

    En bref, il y a beaucoup de monde car Dickens aimait les fresques. Il aimait aussi ces longs chapitres auxquels nos mentalités modernes ne sont plus habituées. Pour les besoins du tirage, il prit parfois la liberté d'insérer dans l'intrigue de son roman des récits qui n'ont pas grand chose à voir avec ses personnages et que je vous conseille de laisser courir car ils sont en général trop misérabilistes. (Lisez cependant celle de Tom Smart et du vieux fauteuil : celle-là est d'un autre ton.)

    C'est dans ce roman que Dickens étrenne cette incroyable sens du détail, souvent comique, ainsi que ce génie des intrigues bien charpentées qui feront sa gloire. Par le style, la longueur et la mentalité, l'ensemble a certes pas mal vieilli. Mais le souffle du créateur demeure, aussi puissant que celui d'un Hugo ou d'un Balzac même si l'on en parlera avec plus de facilité à propos d'un ouvrage comme "David Copperfield", le plus autobiographique des romans de Dickens.

    En outre, et on peut lui en être reconnaissant, Dickens n'a jamais raté une seule occasion de dénoncer les excès de la magistrature, de la misère et de la religion toutes les fois qu'il en trouvait l'occasion. Dans les "Pickwick Papers", lisez à ce propos le discours du vieux Mr Weller sur les mouchoirs et autres babioles que le "berger" et sa congrégation veulent envoyer en Afrique avec des Bibles pour servir les indigènes. D'accord, c'est comique mais il ne faut pas gratter beaucoup pour que, sous le rire, se découvre et scintille, le vitriol de la satire.


    Le critique : Woland
    Note :
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    Posté par Anonyme le 27-10-2005
    Ma note :

    J''ai lu ce livre de bout en bout il y a déjà quelques années. C''est vrai qu''il a des longueurs, mais il y a aussi des passages très plaisants.
    Ma mémoire a surtout retenu cet humour qu''on dit "britannique" qui consiste, dans le même mouvement, à mettre à distance et à être féroce.
    Pour moi, Dickens ouvre ainsi la voie à des humoristes comme Jérôme K. Jérôme (Trois hommes dans un bateau, par exemple).
      

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