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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Captive - Margaret Atwood




    Critique publiée par Woland le 06-11-2006

    Je viens d'achever "Captive", dont le titre anglais est en fait : "Alias Grace." Et c'est un roman ... captivant, ceci dit sans aucun jeu de mots.

    On sait avec quel intérêt Atwood a souvent oeuvré sur la condition des femmes dans la société. Ici, elle se base sur un crime réellement commis au Canada le 23 juillet 1843 pour y brosser un portrait saisissant de la condition qui était faite aux femmes de condition modeste à cette époque, avec la prison et l'asile psychiatrique en filigrane.

    Citation: Les détails [du meurtre] étaient croustillants ; Grace Marks était singulièrement jolie et aussi extrêmement jeune [16 ans lorsqu'elle se fit la complice de James Mc Dermott] ; Nancy Montgomery, la gouvernante de Kinnear [et première victime des assassins] avait auparavant donné naissance à un enfant illégitime et était la maîtresse de Thomas Kinnear ; lors de son autopsie, on découvrit qu'elle était enceinte. Grace et James Mc Dermott, lui aussi employé chez Kinnear, avaient fui ensemble aux Etats-Unis et la presse les supposait amants. L'association de sexe, de violence et l'insubordination déplorable des classes inférieures se révéla très affriolante pour les journalistes de l'époque.

    Voici ce que, dans sa postface, nous dit l'auteur des faits historiques qui l'inspirèrent. Comme on le voit, il y avait là-dedans de quoi ravir les amateurs actuels de "Détective" !

    Mais le plus étrange, c'est que, si James Mc Dermott fut pendu parce qu'on avait pu établir sans problème qu'il avait tué Thomas Kennear sans que Grace fût présente, il s'avéra impossible de trancher aussi nettement dans le cas de la mort de Nancy et de la complicité de Grace. Cette dernière donna au moins quatre versions des faits et surtout, il semblait bien qu'elle ne se rappelait rien. Du coup, on commua sa condamnation à mort en détention à perpétuité. Mais, si l'on excepte une crise d'hystérie qui la conduisit à séjourner un temps dans un asile psychiatrique, elle se conduisit toujours en prisonnière modèle. La femme du gouverneur du pénitencier s'intéressa à elle, lui confia même des tâches ménagères (Grace cousait de façon remarquable) et même si cela fût long, on finit par obtenir sa grâce, après trente ans d'emprisonnement. On lui procura un emploi, une maison et elle finit par se marier et se faire oublier.

    Je ne vous raconterai pas tout ce que le talent d'Atwood est parvenu à tirer de tout cela. Sachez pourtant que, aux deux tiers de ce livre qui tient en haleine son lecteur, celui-ci, tout heureux, finit par penser : "Mais oui ! mais c'est bien sûr !" ... Malheureusement, quelques chapitres plus loin, la conviction qu'il croyait désormais la sienne est à nouveau remise en question, de façon très subtile. Et si l'auteur a l'air de se jouer de nous, n'est-ce pas, finalement, parce que son personnage n'a cessé de se jouer des autres ?

    Comme toujours chez la romancière canadienne, la description qu'elle donne de bourgeoisie - ici, la bonne bourgeoisie canadienne, toute pétrie de ce victorianisme venu de la mère-patrie - est saisissante ... et consternante. Depuis celles de Zola, contant dans son "Pot-Bouille" les mille et une misères d'Adèle, la petite bonne des Josserand, je n'avais lu rien de plus authentique.

    Les classes plus modestes sont aussi montrées sur le vif : le père ivrogne de la petite Grace est une horreur ; Dora et James Mc Dermott sont, chacun à sa manière, les représentants d'une domesticité au plus bas, moralement parlant ; Mary Whitney a tout d'une rebelle mais elle est née trop tôt, la malheureuse, tandis que Nancy, plus conservatrice, ne rêve que d'une chose : s'embourgeoiser à son tour. On soulignera d'ailleurs le fait que Grace, en femme avisée, devenue maîtresse chez elle, refusera toujours d'avoir une domestique à demeure ...

    Cependant, chez toutes ces femmes, riches ou pauvres, une constante est présente : la soumission (par nécessité ou par lassitude) à l'ordre masculin.

    Et pourtant, franchement, les hommes en cette affaire sont dépeints comme faibles, profiteurs, lâches ... sauf peut-être Jeremiah, le colporteur.


    Le critique : Woland
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