Critique publiée par Woland le 02-02-2007
Pour une première lecture d'un auteur que je ne connaissais que de nom, j'ai été favorablement impressionnée. Berberova avait une capacité de réflexion digne des plus grands. J'ai relevé beucoup de passages qui m'ont plu à un point tel que je compte en mettre quelques uns dans le "Dictionnaire ..."
Tout commence lors de la guerre civile qui oppose les Russes blancs aux bolcheviques. Ces derniers entrent par force chez la mère de Dacha, qui s'est séparée du père de l'enfant pour vivre pleinement sa passion avec Alexis Boïko. La petite parvient justement à s'enfuir chez Boïko, leur voisin et, quand ils reviennent sur les lieux - entretemps, les troupes blanches ont repris la ville - ils tombent sur le cadavre violé et mutilé de la pauvre femme.
Tiaguine, le père de la fillette, se charge alors d'elle. Mais comme lui-même se bat avec les Blancs, il est obligé de quitter la Russie pour s'installer à Paris avec toute sa famille. A la suite d'un concours de circonstances un peu compliqué à expliquer en détails, il laisse en garde à Boiko Elisabeth, Zaï, la fille qu'il a eue d'une liaison avec Lise Dumontel, une actrice française en tournée à Moscou.
Au début des années vingt, Boïko se rend compte qu'il risque de se faire arrêter - on arrêtait tant de gens, à cette époque, dans la Russie soviétique toute neuve ... - et de laisser l'enfant sans ressources. Il décide donc de l'envoyer à son père, à Paris. Et, après un long voyage, Zaï débarque dans la capitale française où elle retrouve ses deux demi-soeurs, Dacha, que le lecteur connaît déjà et Sonia, la fille que Tiaguine a eue de sa dernière épouse, Lioubov Ivanovna.
L'essentiel du roman rend compte de leur jeunesse à toutes trois, dans cet "entre-deux-guerres" où l'insouciance cède peu à peu le pas à l'angoisse devant la montée des régimes totalitaires. (Le livre se clôt à l'annonce de la signature du pacte germano-soviétique entre Hitler et Staline.)
Dacha, l'aînée, est une rêveuse qui a soif d'harmonie. Elle finira par faire un beau mariage - son second d'ailleurs - et par aller vivre dans l'Algérie coloniale. Elisabeth, la plus artiste, compose des poèmes, se lance dans le théâtre-amateur, puis se prend d'une telle passion pour la lecture qu'elle nous apparaît, plus que ses soeurs, comme un double de l'auteur. Sonia enfin, la plus déconcertante, est une désespérée chronique qui cache son inappétence à l'existence sous des dehors cyniques - elle cherche par exemple à séduire systématiquement les amoureux de ses soeurs ...
Bien que, comme je viens de l'écrire, Zaï paraisse la plus proche de Nina Berberova, les réflexions de Dacha comme le journal de Sonia nous laissent à penser que les soeurs de Zaï constituent d'autres doubles de l'auteur. Le phénomène dépasse ici la tradition qui veut que, dans un roman, le romancier existe dans chaque personnage qu'il invente. Mais il est assez difficile d'en rendre compte car l'atmosphère du "Cap des Tempêtes" autant que le style, très intériorisé, de Barberova, sont tout à fait exceptionnels. Si on n'a pas lu le livre, à mon avis, on ne saurait s'en faire une idée vraiment exacte.
"Le Cape des Tempêtes" fait partie des oeuvres que Nina Berberova entendait ne publier qu'après sa mort. Le titre lui fut inspiré par le cap de Bonne-Espérance qui, avant que Vasco de Gama ne parvînt à le doubler, en 1497, avait été nommé "cap des Tempêtes" par Bartolomeu Dias, son découvreur. Ce paradoxe apparent, cette ambiguïté pour désigner un seul et même phénomène résume l'attitude des trois soeurs Tiaguine dans leur conception de l'existence. Le critique : Woland Note : Liens relatifs : Amazon.fr Hits : 2628
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