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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Oeil-de-Serpent - Rosamond Smith




    Critique publiée par Woland le 04-03-2007

    "Oeil-de-Serpent", tel est le nom affectueux - et tenu secret - que Lee Roy Sears, qui est resté cinq ans dans le "couloir de la Mort", à la prison d'Etat du Connecticut, à Hunsford, donne à l'unique tatouage qu'il porte sur son avant-bras gauche :

    Citation: [...] ... un serpent enroulé, d'un noir brillant pailleté d'or, avec une tête humanoïde. Sa petite langue fourchue jaillissait entre ses crochets, semblables à des défenses, au bout desquels perlait un filet de salive venimeuse. Ses yeux dorés, étrangement lumineux, avaient une pupille noire comme une tache d'encre. Avant même que Lee Roy Sears exécutât son tour, faisant saillir les muscles de son avant-bras, pour donner la sensation que le serpent prenait vie et était sur le point de lancer une attaque et de planter ses crochets venimeux dans de la chair fraîche, votre première réaction était de vous écarter vivement. ... [...]

    Mais "Oeil-de-Serpent", c'est aussi la face cachée et quasi-schizophrénique de Lee Roy Sears. Une face qu'il va tout d'abord s'appliquer à dissimuler aux membres de la Commission d'Etat pour la rémission des peines, qui s'est réunie à son sujet sous la pression d'organisations démocrates indignées par le manque de preuves sur lesquelles un procureur maladroit avait demandé - et obtenu - la chaise électrique pour Sears. Puis, huit ans plus tard, à sa sortie de prison, à Michael O'Meara, le brillant avocat qui a plaidé sa cause et qui s'est ensuite battu pour que Sears, qui avait participé à un programme de réinsertion par l'art-thérapie, se voit offrir un poste rémunéré et un atelier au Centre artistique de Mount-Orion.

    Non, Michael O'Meara n'est pas un imbécile. C'est un naïf, nuance. Qui pis est torturé par un complexe de culpabilité qui lui vient de son enfance - il en est sûr et en persuade très vite le lecteur attentif - mais sur lequel il ne peut mettre ni nom, ni image. Le lecteur, lui, par contre, en acquerra une certaine idée mais juste à la fin du roman. Wink

    Aussi est-il normal et presque logique que Michael se laisse séduire par la timidité et les mines de pauvre hère victime de la société qui semblent caractériser l'homme qu'il est parvenu à sauver de la peine de mort. Afin que celui-ci - qui a effectivement eu une enfance misérable - puisse se rendre compte de visu que les familles américaines tendres et aimantes existent, Michael va même jusqu'à inviter Sears à sa table. D'abord hostile à cette idée, sa femme, l'élégante - et très superficielle Gina - se laisse prendre elle aussi et se met en quatre pour entreprendre le tour des magasins de luxe avec l'ancien prisonnier pour lui racheter une garde-robes digne de ce nom.

    Mais très vite, les O'Meara, puis la ville tout entière, vont se rendre compte - avec stupéfaction et épouvante - que c'est une vipère qu'ils ont réchauffée en leur sein ...

    Même lorsqu'elle change de nom de plume pour prendre, comme pour ce roman, celui de Rosamond Smith, Joyce Carol Oates demeure aussi brillante. Sa maîtrise de la construction et son style riche, admirablement restitué par la traduction de Marie-Louise Navarro, entraînent une fois de plus le lecteur à travers une bonne société américaine foncièrement incapable de songer aux drames qu'elle côtoie pourtant tous les jours. Certes, Lee Roy Sears ne vaut rien mais un Clyde Somerset ou une Gina O'Meara valent-ils vraiment plus que lui ? Je ne le crois pas : simplement, ils ont eu plus de chance et ceci dès la naissance. A la limite, on peut affirmer que Sears, si fruste qu'il soit et si incapable qu'il soit de l'exprimer, possède une nature infiniment plus complexe.

    Et puis, bien entendu, il y a la chute finale. L'une de ces chutes qu'affectionne Joyce Carol Oates/Rosamond Smith et que je vous laisse découvrir.


    Le critique : Woland
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