Critique publiée par Woland le 11-12-2007
Après avoir acheté ce livre, j'ai cru que je m'étais fait avoir, qu'il ne s'agissait que d'une banale histoire romancée, une de plus, sur l'Asie. Et puis, dans un période de "vaches maigres" livresques, je me suis vraiment penchée sur lui, j'ai commencé à le lire ... et je n'ai plus lâché.
Le style en est simple, sans apprêts. On ne peut dire de lui qu'il soit exclusivement littéraire ou journalistique. Il ressemble à un mélange réussi des deux.
L'intrigue se base sur le destin de Mun halmoni, une vieille Coréenne que Juliette Morillot rencontra à Séoul en 1995 et qui lui raconta sa triste histoire de "femme de réconfort" pour les troupes japonaises pendant la Seconde guerre mondiale. Bien entendu, pour les besoins de la cause, Morillot a un peu arrangé les rebondissements, par-ci, par-là mais le fond demeure authentique et l'on ne peut qu'être épouvanté par ce qu'on découvre là.
En 1937, la jeune Sangmi (nom japonais : Kawamoto Naomi), quatorze ans, est sujette d'Hiro-Hito puisque son pays, la Corée, a été conquis il y a déjà quelque temps par l'Empire du Soleil Levant. C'est une brillante élève dont l'intelligence comble de joie et de fierté son instituteur japonais, l'honorable M. Nagata. Et quand l'administration militaire japonaise commence ses opérations de recrutement pour l'effort de guerre, elle a beaucoup de peine à décliner une invitation à rejoindre le service du Japon.
Mais alors qu'elle revient chez elle après sa journée de classe, elle est enlevée par les militaires, dirigée par un homme qui, tout au long du roman, sera son mauvais génie, à la fois éperdument amoureux d'elle et la haïssant en même temps pour la puissance du sentiment qu'elle lui inspire et la fierté qu'elle refuse d'abandonner : Fujiwara.
Après une soirée donnée en l'honneur d'officiers japonais et pendant lesquelles les jeunes filles enlevées en même temps que Sangmi servent à l'"amusement" de leurs hôtes, après avoir été elle-même violée par un Fujiwara qui ne veut plus la lâcher, Sangmi commence sa triste vie de chosen pi (traduction littérale : "vagin coréen"), nom donné à toutes les femmes coréennes qui furent contraintes de se prostituer pour "détendre" les troupes d'occupation japonaise pendant la Seconde guerre mondiale.
Mais le pire n'est peut-être pas là - aussi brutales, aussi horribles que puissent être ces "passes" qui tiennent de l'abattage. Poursuivie par la haine de Fujiwara, Sangmi sera même déportée dans un camp de concentration japonais et soumise à des expériences médicales qui auraient réjoui le sinistre Dr Mangele.
Et pourtant, Sangmi survivra. Elle parviendra même, après la fin du conflit, à recouvrer un semblant de vie "normale" même si, vous vous en doutez, il lui sera désormais impossible de faire l'amour avec un homme, celui-ci fût-il - comme son mari, juif allemand - le plus tendre possible.
Sous ses dehors romancés, "Les Orchidées rouges de Shanghaï" soulèvent deux grands débats :
1) la tolérance inouïe, le "pardon" accordé par les vainqueurs aux autorités japonaises alors que celles-ci avaient agi envers leurs prisonniers de guerre avec autant de cruauté que les Nazis l'avaient fait envers les leurs. Ce qui explique en partie pourquoi, aujourd'hui, au Japon, le silence est toujours maintenu sur cette page atroce de l'Histoire du pays. De vagues excuses, c'est ce qui a été accordé aux survivantes - et encore, prononcées du bout des lèvres.
La chose est d'autant plus révoltante que ces femmes, désormais "souillées", ont été rejetées, dans la majeure partie des cas, par leurs propres familles.
2) et bien entendu le statut de la Femme lorsque la Guerre survient.
Ce livre a en outre le mérite d'inciter à en savoir un peu plus sur l'occupation japonaise dans les pays asiatiques. Car je ne sais si vous l'avez remarqué ;o), si les librairies regorgent d'ouvrages sur les exactions des Nazis en Europe, les livres traitant des méfaits des militaires nippons sont beaucoup, beaucoup plus rares.
Une lacune à combler d'urgence. J'espère que "Les Orchidées rouges de Shanghaï" pourra commencer à vous y aider.
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