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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Anne Brécart - Le Monde d'Archibald




    Critique publiée par Georges-André Quinio le 05-05-2009

    A première vue il s’agit d’une jeune fille qui évoque, alternant subtilement première et troisième personne, les souvenirs des vacances d’été qu’elle passait chaque année dans « la maison du lac », le domaine de son oncle maternel. Une imposante et vénérable maison, riche ferme traditionnelle suisse à la splendeur désormais révolue mais imprégnée de tout un passé familial.

    Elle y retrouve cousin et cousines, en particulier François, le complice de ses jeux d’enfance, dont la mort prématurée la marquera à jamais d’une culpabilité diffuse. Elle y connaît sa première expérience de l’amour charnel dans les bras d’Idriss, un réfugié politique kosovar taciturne engagé par son oncle pour sauver ce qui peut encore l’être de l’exploitation.

    Cette découverte de l’univers des adultes par les yeux de l’enfance puis de l’adolescence, dans cette sombre et austère demeure recélant les secrets mystérieux d’une longue histoire familiale constituerait déjà la trame d’un beau livre.
    Quelque chose qui n’est pas sans rappeler cette autre demeure ancienne, figée et silencieuse, « l’Habituée », dans le magnifique roman éponyme de Michelle Desbordes. Mais au fil de notre lecture se dessine peu à peu en filigrane, jusqu’à irradier de son soleil noir toute la fin du récit, le véritable et profond sujet de l’œuvre : l’obsession maladive du Temps et de la Mort. Car l’oncle Archibald, depuis qu’il a dû renoncer au négoce familial qu’il a mené à la faillite, consacre toute son énergie à préserver d’une inéluctable dégradation cette maison du lac qui abrite les souvenirs – et davantage encore à ses yeux : on pourrait dire les mânes – de ses chers disparus, ses morts, les ancêtres dont les portraits ternis ornent toutes les pièces de la maison. Et, tel les pharaons de l’Egypte ancienne, il est persuadé qu’ils ne devront la survie de leur âme qu’à celle de leurs biens matériels. C’est pourquoi il ne cesse de se battre pour que tout jusque dans les moindres détails – ce rosier blanc jadis planté devant le perron, les rideaux de soie rose du salon – demeure en l’état qu’ils ont autrefois connu. Il se bat, autrement dit, pour que le Temps s’arrête et il ne saurait y avoir de combat plus pathétique puisqu’il est sans espoir. L’oncle Archibald d’ailleurs ne l’ignore pas, lui qui confie un jour à sa nièce que « rater sa vie est le but de l’existence (…) C’est vers l’échec que toute vie coule naturellement ».
    Un échec dont il va bientôt hâter l’échéance fatale en choisissant de rejoindre volontairement ses « chers morts » : sa femme, Olympe, à qui il n’a jamais cessé de parler depuis sa disparition, son neveu François, et tous les autres, les ancêtres pour qui il lui arrive de dresser rituellement une table d’apparat dans la grande salle à manger toujours vide. Si les morts ne vivent que par les vivants, comme il en est convaincu, quelle autre issue reste-t-il lorsque nous ne pouvons plus les faire vivre ?

    « Nous sommes les esclaves martyrisés du Temps » écrit Baudelaire. Cela pourrait tenir lieu d’exergue à ce très beau roman.


    Le critique : Georges-André Quinio
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