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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Dors Petite Soeur - Joanne Harris




    Critique publiée par Woland le 13-04-2005

    En apparence, c'est un petit roman qui ne paie pas de mine et, dès les premiers chapitres, vous vous dites que tout doit y être banal. Bizarrerie première : les différentes parties du livre sont placées sous le patronage de certaines lames du Tarot Sacré (ou Tarot de Marseille), majeures et mineures.

    Il s'agit d'un récit à quatre voix. Première voix : celle de Henry Paul Chester, héros en titre, bourgeois victorien au visage en lame de couteau, noir, sinistre, glacial, aux inhibitions sexuelles envahissantes bien que le personnage proclame haut et clair ne viser qu'un seul but : la Perfection de la Pureté Absolue.

    Ce modèle d'homme, Président de l'Académie Royale de Peinture, épouse la deuxième voix, Euphémie, jeune fille qu'il a rencontrée enfant et dont la beauté très éthérée, dans le style des pré-raphaélites, l'a immédiatement séduit par sa "pureté" justement. Chester a pris Effie tout d'abord comme modèle de ses toiles et, après avoir rendu financièrement dépendantes de lui la mère évaporée et la tante de l'enfant, femme plus sérieuse mais dépassée par les événements, a veillé à l'éducation de sa protégée avant d'en faire sa femme.

    Effie est de santé délicate et, à l'époque, le laudanum est en vente libre. On en distribue à la pelle, pour ainsi dire et l'on en prend pour un oui, pour un non. Henry, d'ailleurs, estime vite que, pour calmer les "ardeurs coupables" de sa jeune épouse, lequel le "tente trop" et toutes les nuits, qui pis est - vous rendez-vous compte de l'horreur de la chose et de son indécence profonde ? - rien ne vaut cette drogue merveilleuse. Il confie même au médecin de famille sa crainte de voir sa femme basculer tôt ou tard dans l'hystérie, grande maladie de l'époque.

    La troisième voix est celle de l'Amant - ou de celui qui en tient lieu : Moïse Zacharie Harper. Un peintre lui aussi mais un cynique, un jouisseur, plus préoccupé de régler ses dettes, au besoin par une escroquerie pure et simple, que d'autre chose. Cependant, la fragile beauté d'Euphémie semble le séduire un temps - au moins autant que la sournoise satisfaction de l'enlever à un homme qu'il méprise à la fois comme artiste et comme personnalité.

    La quatrième voix est celle d'une tenancière de maison close, Epiphanie Miller, dite "Fanny", une belle femme, une femme de tête également qui a su faire respecter son établissement. Jadis, Fanny a abrité une nuit sa petite fille, Martha et, au matin, elle l'a trouvée morte : violée et assassinée par l'un de ses clients. Mais lequel ? Fanny a des soupçons, bien sûr et, d'année en année, elle a acquis des certitudes. Dans l'ombre, en araignée patiente et en mère authentique, elle tisse sa vengeance ...

    Je ne vous en dirai pas plus si ce n'est que ce roman en apparence mineur me paraît un excellent exemple de ce que les Anglais peuvent produire encore dans le style "gothique-fantastique-thriller réaliste", genre où ils excellent avec infiniment plus de subtilité que les Américains. (Précisons cependant que l'auteur, dont une chaîne française a diffusé récemment une adaptation de son roman "Chocolat" est française par sa mère.)

    Si vous en avez le temps, si vous recherchez un peu de plaisir, de délassement, une écriture souple mais fournie et une intrigue plus mystérieuse et plus "tordue" qu'il ne semble, prenez donc la peine de lire "Dors, Petite Soeur." La fin est de plus une fin gigogne. Vous devinerez assez vite les traits de la première poupée mais, pour les traits de l'ultime figurine, dissimulée au coeur de la première, franchement, non, cela m'étonnerait. Car son visage est encore plus monstrueux que le premier.

    Bonne lecture !


    Le critique : Woland
    Note :
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