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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Tropique du Capricorne - Henry Miller




    Critique publiée par Woland le 13-04-2005

    Avec « Tropique du Capricorne », auquel il mit le point final en 1938, alors qu’il s’était installé en France, Henry Miller nous offre une œuvre qui, comme le « Tropique du Cancer », éclate et se disperse encore un peu dans toutes les directions, tel un magnifique feu d’artifice conçu par un pyrotechnicien à la fois génial et complètement « allumé ». Mais l’ensemble est déjà beaucoup plus structuré et l’on peut y lire l’un des hymnes les plus poignants, les plus sincères et les plus humbles qu’un écrivain ait jamais dédié à la Passion d’Ecrire.

    Pourtant, si l’on s’en tient au titre donné par l'auteur à la première partie de son roman – qui est aussi la plus longue – on ne s’attend guère à ce qu’il y soit beaucoup question de l’acte d’écrire (ou de l’impossibilité dans laquelle on se trouve d'y parvenir). Intitulé en effet, en toute (fausse) candeur millerienne , « Sur le Trolley Ovarien », ce premier acte a surtout pour objet de nous décrire en long et en large les splendeurs et les misères qui présidèrent au passage de l’auteur à la "Compagnie Cosmodémonique du Télégraphe pour l’Amérique du Nord" : un mélange de Kafka et de Jarry, avec l'humour ravageur d'un Rabelais, et cette « patte » qui n’appartenait qu’à Miller lui-même.

    «[ …] … Au bout de quelques mois, » confie-t-il au lecteur avec la jubilation que l'on devine, « je trônais place du Soleil-Couchant, engageant et saquant que c’en était de la démence. Un véritable abattoir, à Dieu ne plaise. Un pur non-sens, du haut en bas. Un gâchis d’hommes, de matériel, d’énergie. Une farce hideuse avec, en toile de fond, la sueur et la misère. Mais, tout comme j’avais accepté de servir de mouche, j’acceptai d’engager, de saquer et tout le tremblement ….[…] »

    Toutefois, au-delà son cynisme habituel, on sent bien la réelle tendresse que Miller portait à tant de pauvres bougres rencontrés à cette époque dans les locaux de la Compagnie. Quant aux bougresses … Non, nous laisserons au lecteur le soin d’apprécier les pages que leur consacre un Miller qui, comme d’habitude, ne se gêne pas pour appeler … un chat un chat. (!!!) Il le fait d’ailleurs avec un naturel si désarmant qu’on se demande bien pourquoi l’Anasthasie américaine eut si longtemps des vapeurs en déchiffrant sa prose.

    Dans la deuxième partie, ou plutôt dans l’ « Interlude », l’écrivain donne libre cours à sa logorrhée scriptrice. Aux scènes de sexe toujours explicites mais jamais vulgaires - enfin, c'est mon avis et libre à vous de ne pas le partager ! - et aux évocations du Brooklyn de sa jeunesse, se mêlent désormais des digressions d’une beauté à vous couper le souffle sur ce qu’est Dieu ou sur ce qu’Il n’est pas, sur les mille-et-une tensions de cette créature éternellement rebelle qui s’appelle Henry V. Miller et qui L’injurie tout en niant Son existence, sur la Vie avec tout ce qu’elle comporte de merveilles et de hideurs, sur les livres bien sûr, sur l’écriture évidemment, sur le Temps … Se succèdent alors des passages extraordinaires comme celui-ci :

    "[…] …Si je me dresse contre la condition actuelle du monde, ce n’est pas en moraliste – c’est parce que j’ai envie de rire plus, toujours plus. Je ne dis pas que Dieu n’est qu’un énorme rire : je dis qu’il faut rire dur avant de parvenir à approcher Dieu. Mon seul but dans la vie est d’approcher Dieu, c’est-à-dire d’arriver plus près de moi-même. C’est pourquoi peu m’importe le chemin. Mais la musique est très importante. La musique est tonique pour la glande pinéale. La musique, ce n’est pas Bach, ni Beethoven ; la musique, c’est l’ouvre-boîte de l’âme. Calme terrible en dedans de soi ; conscience que l’être est doté d’un plafond et d’un toit… […] »

    Ce « Tropique » se clôt enfin sur « Coda », troisième et dernière partie où un Miller enivré de sexe et d’amour évoque sa rencontre avec celle qui deviendra sa deuxième épouse, la fameuse June du film « Harry & June », et, poète toujours mais aussi drogué lucide, il a pour elle cette phrase sublime : « … Je t’accepte et te prends comme l’incarnation du Mal, la dévastation de l’âme, Maharani de l’ombre … »

    Pour tous ceux qu’intéressent l’œuvre et la personnalité d’Henry Miller, il convient d’ajouter que c’est dans « Tropique du Capricorne » qu’il commence à s’étendre sur ses souvenirs d’enfance, tout particulièrement sur ses relations avec ses parents et avec sa sœur cadette. L'écrivain y reconnaît que, sans la "différence" de sa soeur, sans doute ne serait-il jamais devenu Henry Miller.


    Le critique : Woland
    Note :
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