Critique publiée par Woland le 18-04-2005
De son vrai nom Kimitake Hiraoka, Yukio Mishima demeure comme l’un des plus grands et des plus sulfureux auteurs japonais de l’Après-guerre. Grand, il le fut par la sensibilité et la fluidité d’un style qui, dans sa "Mer de la Fertilité", n’est pas loin de charrier la Poésie à l’état pur. Quant au souffre de sa réputation, il est dû essentiellement à ses opinions politiques on ne peut plus nationalistes et fortement opposées au modernisme.
L’homosexualité, l’étroite liaison qu’ont toujours entretenue Eros et Thanatos, le pessimisme le plus amer et le plus raffiné, la nostalgie de la tradition des samouraïs et du Japon impérial ainsi qu’une fascination dévorante pour l’auto-destruction, voilà les piliers sur lesquels repose, et solidement, l’oeuvre de l’auteur japonais.
Dans cette oeuvre, mieux vaut pénétrer par les "Confessions d’un Masque", récit sobre et poignant de la découverte par le héros de son homosexualité.
Et mieux vaut sans doute réserver pour la fin - bien que cet ouvrage ne soit pas le dernier que rédigea l’écrivain - le pervers et désespéré "Pavillon d’Or."
A l’origine, un fait divers : l’incendie de l’un des plus vieux et des plus vénérés temples shintoïstes de Kyôto, qui donne d’ailleurs son nom au livre. L’auteur en est un bonze novice de 21 ans qui dira avoir agi par haine de la Beauté.
Cette histoire, Mishima va la retravailler avec autant de patience et de perfectionnisme qu’il en a mis jadis, lui, l’enfant malingre et chétif, à sculpter son propre corps en un désir de surcompensation qui n’est pas sans rappeler lord Byron. D’emblée, il se place dans la peau du futur pyromane, un garçon laid et bègue, qui voue à son père disparu autant d’admiration qu’il porte de mépris, voire de haine à sa mère. Et le héros, Mizogushi, à son tour, va disposer de deux "doubles" : l’un, positif, le clair Tsurukawa qui, pourtant, finira lui aussi par se suicider après une déception amoureuse ; l’autre, négatif, le cynique Kashigawi dont les deux pieds bots évoquent irrésistiblement au lecteur occidental le Méphistophélès de la légende faustienne.
Au centre de ce trouble univers, le Pavillon d’Or où Mizogushi et Tsurukawa sont novices et qui, lui aussi, possède un "double" dans la cervelle complexe du premier, un double qui symbolise à la fois la Beauté suprême et, vraisemblablement aussi, l’Homosexualité larvée du narrateur. Il est en effet étrange de constater que celui-ci ne peut avoir de relation sexuelle avec une femme que lorsqu’il a pris la décision de renoncer à tout et d’incendier le Pavillon d’Or. (Encore cette relation est-elle fort loin de la volupté qu’il imaginait ...)
Et, en filigrane, la Chair, toujours à la limite de la Perversion et de la Décomposition. Car Mishima, que fascinait tant la Beauté et surtout celle du corps masculin, souhaita sans doute toute sa vie s’en libérer à jamais.
Un roman où l’introspection frôle parfois l’intolérable tant l’on sent, au-delà le personnage fictif de Mizogushi, les coups dont se flagelle - non sans volupté - Mishima lui-même. Un roman envoûtant mais étouffant et absolument dénué de tout espoir. Un roman fidèle à son auteur qui, après avoir tenté un putsch militaire en novembre 1970, demanda à un proche de l’assister dans son seppuku.
Yukio Mishima était enfin libéré : il avait tout juste 45 ans.
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