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    CRITIQUE LITTÉRAIRE
    Hitler avant Hitler - Jacques Brosse




    Critique publiée par Woland le 14-09-2006

    Livre dérangeant s'il en est, cet ouvrage n'entend traiter que de l'époque où Adolf Hitler n'était rien - en tous cas pas grand chose. Il est vrai que, si l'on sait tout (ou presque) sur le Führer, on parle fort peu de son enfance, tout au mieux pour citer son lieu de naissance, Braunau-sur-Inn, à l'exacte limite entre l'Autriche-Hongrie et l'Empire Allemand. (A ce propos, son père, fonctionnaire des douanes autrichiennes étant doté d'une fâcheuse manie de la bougeotte, Hitler naquit ... dans une chambre d'hôtel.)

    Pourtant, nombreux furent ceux qui, dès ses débuts au NSDAP, s'acharnèrent à TOUT apprendre de son passé. Parmi ces curieux, relevons les noms de deux hommes qui se haïssaient cordialement : Heinrich Himmler et le non moins redoutable Reinhardt Heydrich.

    Néanmoins, malgré toute leur puissance, ni l'un ni l'autre n'obtinrent rien et durent s'en tenir à leurs soupçons. Soupçons qui planaient - et continuent d'ailleurs de planer - sur les origines de Heydrich, lequel avait certainement une ascendance juive.*

    A ce sujet, Jacques Brosse signale :

    "Heydrich, comme Hitler, tenta de faire disparaître toute trace de son ascendance. Il fit réunir tous les registres d'état-civil et paroissiaux le concernant. Néanmoins, il dut, avant 1940, se défendre à plusieurs reprises en justice contre des "calomnies raciales." Ses supérieurs directs n'ignoraient nullement cette tare et surent en profiter. Himmler alla jusqu'à dire, parlant de lui : "On ne peut laisser travailler des gens de cette espèce qu'à condition de les avoir solidement en mains, et les origines non-aryennes de Heydrich s'y prêtaient admirablement. Ainsi, il nous sera éternellement reconnaissant de l'avoir gardé, et il nous obéira aveuglément."

    Avant d'être assassiné en 1941, le fait est que Reinhardt Heydrich obéit aveuglément et travailla "admirablement" pour la cause nazie ...

    Et, si vous en avez l'occasion, visionnez "Hitler's Hangman" de Frank Borzage, où John Carradine donne une interprétation aussi exacte que glaçante du "Bourreau d'Hitler."

    Pour en revenir à Hitler, Brosse nous signale que, dès l'Anschluss :

    "[...] ... Outre l'interdiction de toute recherche sur ses origines et la saisie par la Gestapo des dossiers de police autrichiens, une des premières décisions prises personnellement par le Führer lors de l'annexion de l'Autriche est révélatrice. Ordre fut alors donné de transformer en champ de manoeuvres la localité de Döllersheim et ses environs. Ainsi disparurent définitivement sous les chars de la Wehrmacht, le lieu d'origine et la tombe de sa grand-mère, Maria-Anna Schicklegruber. ... [...]"

    En effet, en bonne logique, étant fils d'un enfant illégitime, Adolf Hitler aurait dû s'appeler Adolf Schickelgruber. Voici les faits :

    1) Maria-Anna Schickelgruber, grand-mère paternelle du jeune Adolf, avait été domestique chez les Frankenberger, une riche famille autrichienne à laquelle on a toujours supposé quelques ancêtres juifs. Du fils aîné des Frankenberger, elle eut un garçon, prénommé Aloïs, et pour l'entretien duquel les Frankenberger versèrent très scrupuleusement une certaine somme jusqu'à ce qu'il entrât en apprentissage. A la naissance, fils illégitime né de père en principe inconnu, Aloïs porta le nom de sa mère. Et il allait le garder jusqu'à ses quarante ans.

    2) Pourtant, entretemps, sa mère avait épousé le garçon-meunier Johann-Georg Hiedler. Mais celui-ci, qui ne reconnut pas l'enfant, confia très vite son éducation à son frère cadet, Johann-Nepomuk Hiedler, qu'on appelait aussi Hüttler, simple cultivateur à Spital. (Le nom était ici d'origine tchèque et nul n'ignore la haine qu'Adolf Hitler porta aux Tchèques : n'est-ce pas Heydrich, surnommé "Le Boucher de Prague", qu'il chargea de s'occuper d'eux justement ?)

    3) Or c'est Johann-Nepomuk qui, vingt-neuf ans après la mort de la mère d'Aloïs et dix-neuf ans après celle de son mari, Johann-Georg, fit des pieds et des mains pour que, devant notaire, Aloïs Schicklegruber, qu'il avait élevé, devînt Aloïs Hitler.

    Doit-on s'étonner, après toutes ces péripéties, de rencontrer, dans le père d'Adolf Hitler, un personnage pour le moins déroutant ? Simple apprenti cordonnier, il finit par passer un concours qui le transforma en agent des douanes de l'Empire austro-hongrois. Il était de caractère violent, dominateur et avait la main lourde - Hitler lui-même le reconnaît dans "Mein Kampf." Aloïs, qui buvait et fumait beaucoup, devait avoir un malaise dans une taverne et c'est ainsi qu'il mourut dans les premières années du XXème siècle.

    Quant à sa vie sentimentale ... Là encore, il faut s'accrocher.

    1) Aloïs épousa en premiène noces Anna Glasl-Hörer, de 14 ans plus âgée que lui et dont il n'eut pas d'enfant. Peut-être fût-ce un mariage d'intérêt. Toujours est-il que Anna décida de demander la séparation de biens en 1880. Comme sa santé déclinait, elle ne s'opposa pas à ce que son mari appelât auprès d'eux, pour les aider, sa cousine Klara Pölzl (qui était donc la petite-fille du père adoptif d'Aloïs). Ce fut sans doute à cette époque que la jeune fille tomba amoureuse de lui. Elle quitta cependant très vite ce couple mal assorti pour entrer en service à Vienne : elle avait 19 ans.

    2) Aloïs prit alors une maîtresse, Franziska Matzelsberger, qu'il épousa 1 mois après la mort de sa première femme, en 1883, et dont il eut un fils, également prénommé Aloïs, puis une fille, Angela - laquelle deviendra plus tard la mère du seul "amour" d'Adolf Hitler : Geli Raubal.

    3) Enfin, après le décès - tuberculose - de Franziska, Aloïs demanda enfin à Klara de l'épouser - mais on peut penser que cette dernère était déjà redevenue sa maîtresse. Le lien de famille jouant ici à la limite de l'inceste, une dispense dut être demandée aux autorités catholiques, qui l'accordèrent.

    Klara devait avoir six enfants. Les trois premiers moururent encore bébés. Le quatrième, Adolf, était de santé délicate et elle le couva jusqu'à la naissance de son cinquième enfant, Edmund. (Il devait mourir de diphtérie à l'âge de 6 ans.) Enfin, la petite dernière, Paula, qui survécut à Adolf jusqu'en 1960 et sous le pseudonyme qu'avait tant affectionné son aîné, Paula Wolf, était une enfant "différente."

    En remontant dans cette généalogie aussi passionnante qu'inquiétante, Jacques Brosse dresse ce qu'il appelle lui-même un "Essai d'interprétation psychanalytique" d'Adolf Hitler ET du Führer du Reich nazi. L'ouvrage est, je tiens à le préciser, lisible par tous car jamais (sauf peut-être dans l'évocation de la mère-phallique) il ne recourt à un jargon aussi insupportable que décourageant.

    A l'exception du chapitre consacré aux relations sentimentales et/ou sexuelles d'Hitler (au contraire de son père, lui entretint toujours le plus grand secret sur ce genre de choses et ne se maria que le jour de son suicide !), à la fin du livre, l'auteur ne s'attache ici qu'à la période qui va de la naissance du jeune Adolf (1889) à son retour de la Grande guerre. Le putsch manqué de 1923 n'y est évidemment pas impliqué puisque, à cette époque, Adolf Hitler avait déjà cédé le pas au Führer.

    Un ouvrage précis, à mille lieues de l'hagiographie, à mille lieues aussi du jugement implacable mais qui cherche simplement à analyser, à disséquer et à éclairer, notamment en ce qui concerne la véritable horreur qu'inspirait à Hitler l'idée que lui-même pût un jour avoir des enfants.

    Car, ainsi que nous le fait si bien remarquer l'auteur dès la première page :

    "Le monde actuel est ce qu'il est parce que Hitler a existé."


    * : Ernst Hanfstaengel estime la remarque valable également pour Rosenberg, Streicher, Frank lui-même, Ley, Strasser, voire, peut-être, pour Joseph Goebbels en personne.

    Or, Hanfstaengel, qui entra au NSDAP pratiquement dès les débuts de celui-ci, mais rompit avec lui après la prise de pouvoir par Hitler pour émigrer en Grande-Bretagne, puis aux USA (où il devint conseiller personnel de Roosevelt pendant la Seconde guerre mondiale) les connaissait tous très bien et de longue date.

    Les références sont les suivantes : Edition Fayard - 1972 - Collection Le Lieu de la Personne. Apparemment disponible chez Price Minister et chez Amazon.


    Le critique : Woland
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