Critique publiée par Woland le 14-09-2006
Quand il s'attaque à la tradition religieuse instituée par l'Eglise catholique, Jacques Duquesne a pour habitude de faire couler beaucoup d'encre. C'est que, bien que profondément croyant - ce que je ne mets pas en doute - il tente également d'être honnête avec lui-même mais aussi avec son lecteur.
Dans ce livre dont le seul défaut est à mon sens la brièveté (190 pages en Poche sur lesquelles 138 seulement forment le récit, le reste étant constitué d'annexes fort intéressantes), Duquesne met en lumière le paradoxe fondamental de l'Eglise catholique - un paradoxe que ses plus hautes autorités se refusent à reconnaître : à savoir d'une part le peu de phrases qui, dans le Nouveau Testament, évoquent Marie (six à peu près) et d'autre part l'ampleur qu'a pris, au fil des siècles, le culte marial, adaptation policée de l'antique culte de la Grande Mère.
Ah ! l'on apprend beaucoup, avec Duquesne. Ainsi, la fameuse filiation davidique de Jésus. L'avez-vous lue ou vous l'a-t-on serinée suffisamment dans les cours de catéchisme de votre enfance ? Merveilleux, n'est-ce pas ? Et in-du-bi-ta-ble ? ...
Seul ennui : c'est Joseph, et non Marie, qui est censé descendre de David. Donc, si Joseph n'a rien à voir dans la conception de celui qui allait devenir le Christ, si ce dernier ne doit la vie qu'à Marie et au fameux "Saint-Esprit", comment peut-il descendre de David ? ...
A certains moments, on rit carrément. Ainsi, lorsqu'on lit que Saint Augustin, l'un des "pères" de l'Eglise, affirmait que la fécondation de Marie s'était faite par ... l'oreille : "per aurem, non per uterum", écrit-il pieusement - et l'on sent bien combien cet "uterum" est pour lui l'organe même du Péché. (Enfin, il paraît tout de même que certains fétichistes ont un faible pour les oreilles, notez ...)
Autre moment d'hilarité : lorsqu'on apprend que ce misogyne d'Origène avait de tels problèmes sexuels qu'il s'était fait castrer à l'âge de ... 20 ans. (Ben oui, il avait des problèmes sexuels : vous en connaissez beaucoup, vous, d'hommes qui se font castrer volontairement à cet âge-là - ou à 90 ans, d'ailleurs ?)
Messieurs qui me lisez, avouez que ça vous choque, non ?
Et Cyrille ? Comment décrire l'infinité de turpitudes luxurieuses auxquelles il se livra avant de devenir ... évêque d'Alexandrie et faire montre, lui aussi, de cette misogynie qui pèse depuis si longtemps, et de façon tragique, sur le catholicisme tout entier ?
Ah ! tous ces "saints pères", ces "pères de l'Eglise", ces "docteurs de l'Eglise" (comme Cyrille) qui ont tant aimé la chair avant de la renier avec fureur ! Comment croire un seul instant à leur sincérité ? ... (Et pour ce qui est de leurs propres rapports avec leurs mères, franchement, c'est inquiétant, vous ne trouvez pas ? )
Duquesne aborde aussi, bien évidemment, l'hypothèse d'une parthénogénèse qu'il réfute aussitôt puisque la parthénogénèse ne peut concevoir que des individus de sexe féminin. Par charité résolument a-religieuse, nous passerons dans ce billet sur la croyance professée par le Vatican et qui veut que, bien qu'ayant eu d'autres enfants après Jésus, Marie fût restée tout de même vierge.
Mais je ne résiste pas à vous citer la naissance de Jésus racontée dans un Apocryphe du Ier siècle :
"Tandis que [Joseph et Marie] étaient seuls, Marie aperçut tout à coup un petit enfant et en fut stupéfaite. Et quand sa stupéfaction se fut dissipée, son sein était redevenu exactement identique à ce qu'il était avant qu'il ne portât l'enfant."
La malheureuse "en fut stupéfaite" : il y a de quoi ! Quant au "sein", c'est un terme tout de même plus élégant que le très terrestre et très impur "ventre." Tartuffe l'a dit plus tard : "Ah ! qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! ..."
Quant à la fameuse "Immaculée conception", rappelons une fois de plus :
1) qu'il s'agit de la conception de Marie et non de son fils ;
2) et qu'elle fut instituée par le pape Pie IX, le 8 décembre 1854, pour des raisons à la fois théologiques et ... politiques.
Pourquoi Marie devait-elle avoir été conçue "sans péché" ?
Mais encore à cause de ces obsédés machistes qui fondèrent l'église chrétienne, en particulier, une fois de plus, cet abruti de St Augustin qui voyait le péché dans tout acte sexuel, y compris accompli dans le mariage.
En outre, pas question que Marie soit morte comme le commun des mortels : elle est tombée en "dormition" et son fils lui-même est venu l'emporter au Ciel. On reconnaît là l'héritage, issu des Grecs, qui établit la dichotomie fondamentale entre l'âme, noble et divine, et le corps, putrescible et coupable.
C'est ainsi que naît ce que l'on nomme "le culte marial" - ou "mariolâtrie" chez certains extrémistes qui se retrouveront encore à Vatican II. Jean-Paul II, qui était un fanatique de Marie et rendait celle-ci responsable du "miracle" qui l'avait fait réchapper de l'attentat perpétré contre lui, n'a fait qu'aggraver le problème.
D'ailleurs, tant que les femmes ne seront pas ordonnées, tant qu'elles n'auront pas la place qui leur revient de droit dans la hiérarchie ecclésiastique, on s'étonnera toujours de voir tous ces hommes fantasmer sur Marie tout en refusant à leurs soeurs devant Dieu le droit de donner la communion, d'être ordonnées ou encore de monter sur le trône de Pierre (qui n'a jamais été, n'est pas, et ne sera jamais, vous le remarquerez, le trône du Christ).
Jacques Duquesne clôt d'ailleurs son étude sur ces mots :
"On la montre inabordable, mais il faudrait la montrer imitable," disait de Marie une autre jeune femme forte, Thérèse de Lisieux. Et la conférence théologique des femmes asiatiques, en 1987, lui prêtait ces mots : "Que m'avez-vous fait ? Qu'avez-vous fait de moi ? Je ne peux me reconnaître dans la femme que vous voulez que je sois."
Que les hommes ont toujours voulu qu'elle fût, bien sûr.
Pour les femmes (de bon sens, s'entend, pas les grenouilles de bénitier), Marie est avant tout la mère d'un fils dont elle ne comprenait guère la personnalité excentrique mais qu'elle aimait sincèrement. Une mère qui souffrit, comme toutes les mères qui élèvent leurs enfants pour les voir mourir avant elles.
Et c'est aussi, et c'est avant tout, pour les hérétiques auxquels je me flatte d'appartenir, la preuve que la Grande Mère n'est pas morte - qu'Elle ne mourra jamais. L'Eglise catholique et tous les cultes monothéistes patriarcaux passeront mais la Grande Mère, elle, survivra. Le critique : Woland Note : Liens relatifs : L'Express Hits : 3254
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