Critique publiée par Woland le 02-02-2007
Peut-être Yumeno Kyûsaku se sentait-il plus à l'aise dans le "court." On peut le penser car la faiblesse de "Dogra Magra" tient dans sa construction et ses longueurs - celles-ci étant peut-être plus sensibles à un Occidental : le roman policier chinois ou japonais, pour autant que je le sache, a toujours aimé les digressions.
Mais justement, dans "Dogra Magra", on ne peut pas parler vraiment de digressions mais plutôt de répétitions. Si le procédé montre très clairement dans quel état mental lamentable se trouve le principal narrateur du roman, il finit par lasser. Imaginez des poupées gigognes dont les emboîtages successifs n'auraient pas de fin et vous aurez une idée assez exacte de "Dogra Magra."
Les quatre-cents premières pages surtout sont laborieuses parce que truffées de discours et de théories sur le traitement des aliénés et aussi de réflexions philosophiques sur l'esprit, le cerveau, etc, etc ... Le style n'arrange rien : il regorge de points de suspension, se fait tour à tour haché et doctoral et tout cela donne l'impression de tourner sans fin.
A la moitié du roman donc, le ton change légèrement et l'intrigue qui aurait conduit notre narrateur dans la cellule d'hôpital où nous l'avons trouvé fait mine de se mettre en place. Mais elle est elle-même si tordue, si distordue, si contournée, si nébuleuse que le lecteur n'a pas trop de toute son attention pour la suivre. (Surtout, lire "Dogra Magra" quand on a tout son temps ! Sinon vous ne le terminerez jamais.)
En substance, un jeune homme (une vingtaine d'années à peu près) se réveille un triste matin dans une cellule capitonnée et entend une voix de femme - celle de sa voisine de la cellule 6 - l'appeler et gémir. Après avoir tourné comme un ours en cage pendant on ne sait trop combien de temps, l'amnésique (car le malheureux ne se rappelle pas même son nom) reçoit la visite du Dr Wakabayashi, homme grave et volontiers pédant, qui lui donne l'impression de l'observer sans cesse du coin de l'oeil et qui l'invite à se remémorer son identité par une recherche personnelle dans des lieux et dans des archives où lui-même, Wakabayashi, se fera son guide.
L'amnésique arrive ainsi dans le bureau-bibliothèque du Pr Masaki, son médecin référent, dont Wakabayashi lui assure avec regret qu'il s'est suicidé un mois plus tôt. De fil en aiguille, le patient est amené à poser de plus en plus de questions sur le Pr Masaki et, une question en entraînant une autre, le voilà plongé dans le parcours professionnel révolutionnaire de Masaki, partisan de la "thérapie par l'émancipation des aliénés."
Mais, peu à peu, notre amnésique sent une question croître en lui : n'est-il pas la victime du machiavélique jeu de pouvoirs de deux médecins particulièrement brillants qui, bien loin de vouloir lui faire recouvrer la mémoire, s'acharnent à l'induire en erreur quant à son passé ?
Surtout, s'il y a criminel en cette affaire, qui est-il exactement ? ...
Au-delà son argument policier, teinté de fantastique, "Dogra Magra" reprend les sentiments les plus intimes de son auteur : la sensation, qu'il dut connaître très jeune, de ne pas être maître de son destin, la certitude d'être manipulé par les uns comme par les autres tout en se demandant si ceux-ci n'étaient pas eux-mêmes victimes de quelque marionnettiste aussi occulte que démoniaque, la hantise cachée de son propre déséquilibre, le mariage du malheur et du sentiment amoureux ... Et c'est sans doute cela qui parvient à fidéliser le lecteur, à faire patienter celui-ci jusqu'à la huit-centième page où, une fois de plus, c'est à lui, et à lui seul, de se faire sa propre opinion sur ce récit aux multiples facettes qui laisse le même sentiment de malaise que la contemplation hypnotique d'un motif répété sur un autre motif qui, lui-même, est répété sur ... Le critique : Woland Note : Liens relatifs : Amazon.fr Hits : 2944
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