Critique publiée par Woland le 08-04-2005
Il était une fois, dans une petite ville perdue du Midwest, un petit garçon, juif par son père, catholique par sa mère et agnostique par conviction, qui avait atterri là sans beaucoup de conviction et qui se sentait bien seul. Le malheur voulait qu’il eût un faible inné pour les livres et le travail et qu’il n’eût de ce fait aucun mal à se faire bien voir de ses professeurs. Circonstance aggravante, il portait des lunettes et souffrait d’allergies qui se manifestaient parfois à l’état de crises d’asthme. Très vite, et nul ne s’en étonnera, le jeune Max se voit donc en but à l’hostilité de certains condisciples, au nombre desquels un certain Gary Urbanoswski qui, un jour que l’enfant attend sa mère à la sortie de l’école, s’avance vers lui avec l’intention on ne peut plus visible de « s’amuser » un peu à ses dépens …
Mais voilà que, du bus de ramassage scolaire qui n’a pas encore pris le chemin du retour et à l’intérieur duquel la timidité de Max l’a jusqu’à ce jour empêché de monter, descend une espèce de petit taureau, du nom de Charles Arbaugh mais déjà connu sous le sobriquet de « Bank. » Urbanoswki préfère s’éclipser, Bank invite Max à l’accompagner dans le bus et c’est ainsi que débute une longue et solide amitié entre deux enfants issus de deux mondes différents : orphelin, Bank vit dans une famille d’accueil tandis que Max réintègre tous les soirs le foyer de ses parents.
A l’âge adulte, Bank et Max, qui répond désormais au surnom de « Big Mack », entrent tous deux dans la Police. Le premier est détaché à la brigade Anti-gang et montre vite un faible pour les patrouilles de nuit ; le second s’oriente vers les Personnes Portées Disparues. Par la suite, ils prennent l’habitude de patrouiller ensemble toutes les fois qu’ils le peuvent dans les méandres d’une ville où, en cette fin des années 90, la prostitution, le crack et les gangs de jeunes gamins, qu’ils soient noirs, blancs ou latinon, se montrent aussi actifs que dans n’importe quelle grande agglomération.
Quand s’ouvre le roman, nos deux héros déjeunent d’un sandwich bien gras arrosé de caféine lorsque la radio leur signale la disparition d’une fillette de 12 ans qui, partie tester la réparation de sa chaîne de bicyclette en faisant le tour du pâté de maisons où elle vit, s’est évaporée dans la nature en laissant son vélo derrière elle.
Les deux hommes se précipitent immédiatement sur les lieux et Max, qui est aussi le narrateur de tout l’histoire, commence à démêler pour le lecteur les fils d’une affaire qui, des années plus tôt, a démoli l’existence paisible que son ami Bank s’était faite auprès de Sarah, jolie jeune femme issue d’un milieu bourgeois et mère-célibataire de la petite Jamie. Cette fillette, dont Bank s’occupait comme un véritable père, avait elle aussi disparu un beau jour alors qu’elle se rendait à un entraînement de softball. Et, malgré tous les efforts de Bank – et Dieu sait s’il ne les avait pas ménagés ! – malgré tous ceux de ses collègues, directement atteints par ce coup infligé à l’un des leurs, jamais elle n’avait été retrouvée. On avait fini par la supposer morte ou disparue dans les anneaux d’un réseau de prostitution enfantine. Peu à peu, Bank et Sarah s’étaient éloignés l’un de l’autre et un divorce avait mis fin à une union qui avait pourtant été si parfaite.
L’enlèvement brutal de Tamara Shipley par, aux dires des témoins, contradictoires comme toujours, « deux Noirs dans une voiture marron » ou « deux Blancs dans une voiture violette », ouvre la porte toute grande aux spectres du passé qui, fidèles à eux-mêmes, n’attendaient évidemment qu’une telle opportunité pour s’en venir accabler Bank et tous ceux qui, avec lui, ont partagé les affres de l’incompréhensible disparition de Jamie.
Cependant, dans le drame de la famille Shipley, il semble très vite que se trouvent impliqués des gangs d’adolescents. Tandis que, au fur et à mesure qu’il ressasse ses souvenirs, Mack se désespère de trouver la solution à celui qui a mis fin à toute une partie de la vie de son ami.
Pourtant, peu à peu, des fils surgissent, des pistes s’entrecroisent …
Et la Vérité se fait jour : aussi effarante qu’incroyable.
Ames sensibles qui me lisez, vous pouvez aborder ce roman de Craig Holden sans craindre les horreurs sanglantes qu’assène un Ellroy ou les frissons infernaux savamment distillés par Thomas Harris. Pourtant, si l’on doit établir une quelconque comparaison, c’est bien de la manière de Harris – ou de Dennis Lehane, spécialement dans son « Ténèbres prenez-moi la main » - qu’il faut rapprocher « Les Quatre Coins de la Nuit, » ouvrage superbe et sobre, cynique et ambigu, et malgré tout miséricordieux envers un monde d’où le manichéisme et sa rassurante simplicité sont fermement exclus. C’est aussi un « roman noir » unique en son genre, sur une humanité navrante et navrée qui n’est pas sans rappeler celle qui s’agite dans le « Chinatown » de Roman Polanski.
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